Esquisse phonologique du ngiemboon

par Stephen C. Anderson

1    Introduction

La phonologie du ngiemboon avait fait l’objet d’une description détaillée dans Anderson (1976a). Cette analyse a utilisé une approche prosodique et elle n’a pas utilisé les symboles de l’Alphabet Phonétique Internationale (API). Cette section du dictionnaire ne constitue qu’une brève description du système des sons de la langue, cependant à travers un modèle plus transparent et utilisant les symboles de l’A.P.I. Etant donné que la phonologie du ngiemboon est assez complexe, il est assez difficile de la présenter sous une forme concise. La présente esquisse phonologique a pour objectif de décrire les différents sous–systèmes phonologiques de la langue à travers une série de tableaux avec un strict minimum d’explications.

2    Types de morphèmes

2.1  Le radical du mot

En ngiemboon, presque tous les radicaux de mots se composent de C1(S1)V1(C2)(V2), i.e. une consonne obligatoire, une semivoyelle facultative, une voyelle obligatoire, une deuxième consonne facultative et une deuxième voyelle facultative.

2.2  Les affixes et les pronoms

En plus des morphèmes C(S)V(C)(V), certains préfixes ngiemboon et trois pronoms pourraient se réduire à une syllabe consistant d’une voyelle ou d’une consonne nasale homorganique symbolisée « /N-/ ». Les suffixes quant à eux ne sont qu’au nombre de deux : /-te/ ou une voyelle.

3    Les consonnes

3.1  Les consonnes sous-jacentes

Le ngiemboon compte 16 consonnes sous–jacentes, chacune d’elles pouvant occuper la position C1 susmentionnée, comme l’illustre le tableau ci-dessous :

Labiales Coronales Vélaires
Occlusives : non voisées t k
voisées b d ɡ
Affriquées : pf ts
Fricatives : non voisées f s
voisées v z
Nasales : m n ŋ
Semivoyelles : j w

3.2  Variation par changement de position à l’intérieur du radical

En ngiemboon, les quatre consonnes ci-dessous varient en fonction de la position qu’elles occupent dans le mot : à l’initiale d’un radical précédé d’une voyelle ou de rien ; à l’initiale du radical après une consonne syllabique ; à l’intérieur du radical entre deux voyelles ; en position finale du radical avant le suffixe /-te/ ou en position finale du radical en fin de la locution. Le tableau ci-dessous l’illustre :

Consonnes sous-

jacentes

À l’initial du radical Après le préfixe

/N-/

Entre

deux voyelles

Avant le suffixe

/-te/

En fin

de la

locution

/b/ p b β p
/d/ l d l t
/g/ ɣ ɡ ʁ q
/k/ k k ʔ ʔ ʔ

Quatre autres consonnes n’apparaissent qu’en position initiale du radical. Elles changent de forme en fonction de la présence ou l’absence du préfixe nasal comme illustré dans le tableau ci-dessous :

Consonnes

sous-jacentes

À l’initial

de mot

Après le

préf. /N-/

/v/ v bv
/z/ z dz
/j/ j ɡj
/w/ w ɡw

 

3.3  Variation avant les voyelles [u] et [ʉ]

Des consonnes apicales sont réalisées post alvéolaires et rétroflexes avant les voyelles [u] et [ɯ] et elles sont réalisées respectivement alvéolaires et dentales avant les autres voyelles, comme indiqué dans le tableau ci-dessous :

Consonnes

sous-jacentes

Avant les voyelles

[u] et [ʉ]

Avant les

autres voyelles

/s/ ʃ s
/z/ dz
ʒ z
/ts/ ts
/t/ ʈ
/d/ ɖ
ɭ
/n/ ɳ

3.4  Variation par suite d’une « aspiration prévisible »

En d’autres circonstances (Anderson, 1982  : 32, 58), nous avons démontré que l’ « aspiration » commune aux langues bantous des « grassfield » se réalisait comme une consonne fricative homorganique relâchée en langue ngiemboon. Ceci varie en fonction des consonnes précédentes, comme dans le tableau suivant :

BL LD DN AL RT PA VL
Occlusives : non voisées  t̯θ̯ ʈθ̻ kx
voisées d̯θ̯ ɖθ̻ ɡx
Affriquées : non voisées voisées ts: tʃ:
bvf dzs dʒʃ
Fricatives : non voisées f: s: ʃ:
voisées vf zs ʒʃ ɣx
Semivoyelles : l̯ɬ̯ ɭɬ̻

BL : bilabiale

LD : labiodentale

DN : dentale

AL : alvéolaire

RT : rétroflexe

PA : post alvéolaire

VL : vélaire

 

Le processus qui engendre ces consonnes modifiées se produit si la syllabe initiale du radical du mot remplit ensemble les trois conditions suivantes : être une syllabe ouverte ; présence de l’une ou l’autre des semivoyelles après la consonne initiale ; avoir une voyelle mi-ouvert (en clair, l’aspiration ne se réalise qu’au cas où la voyelle de cette syllabe est soit /e/, soit /o/). Le ngiemboon présente de nombreuses paires de mots qui attestent ce contraste comme illustré ci-dessous :

[ŋ̩́kjɛ́] sauter
[ŋ̩́kxjé] abandonner

3.5  Variation de consonne suite à une « aspiration non prévisible »

A l’opposée de l’ « aspiration prévisible » présentée ci-dessus, il existe en ngiemboon l’ « aspiration non prévisible ». Elle survient dans le même environnement que la précédente mais en l’absence d’une semivoyelle et il se limite aux consonnes indiquées dans le tableau suivant :

BL LD DN AL RT PA VL
Affriquées : non voisées
voisées bvf dzs
Fricatives : non voisées f: s:
voisées vf zs

 

BL : bilabiale

LD : labiodentale

DN : dentale

AL : alvéolaire

RT : rétroflexe

PA : post alvéolaire

VL : vélaire

 

Cette « aspiration non prévisible » donne lieu à des paires minimales où s’opposent les consonnes courtes et les consonnes longues, mais exclusivement les fricatives sourdes, illustrées ci-dessous :

[fó] venir de [sé] sa/son [sǒ] ami
[f:ò] feuille [s:é] terre/dieu [s:ó] poisson

3.6  Le préfixe nasal syllabique homorganique

A l’instar de toutes les langues bantous des « grassfield », le préfixe nasal en ngiemboon est homorganique à la consonne qui suit, entraînant les réalisations phonétiques présentées ci-dessous :

BL LD DN AL RT PA VL
Nasales : m ɱ n ɳ ɲ ŋ

 

BL : bilabiale

LD : labiodentale

DN : dentale

AL : alvéolaire

RT : rétroflexe

PA : post alvéolaire

VL : vélaire

Comme dans la plupart des langues bantous des « grassfield » de l’Est, le préfixe nasal du ngiemboon est syllabique. Il porte en plus, soit un ton haut, soit un ton bas, une caractéristique qui n’est pas fréquente dans les autres langues bantous des « grassfield ».

3.7  Le « r » battu

La langue ngiemboon connaît un « r » battu [ɾ] qui n’est perceptible que pendant une conversation rapide, mais qui se prononce comme [l] quand le locuteur adopte un débit lent et soigné comme illustré dans l’exemple suivant :

[ésə̀lè] ~ [ésɾè]   tourner

3.8  Tableau phonétique des consonnes

Mises à part toutes les complexités liées à l’ « aspiration », le tableau phonétique des consonnes du ngiemboon se présente ainsi :

BL LD DN AL RT PA VL UV GL
Occlusives : non voisées p t ʈ k q ʔ
voisées b ɖ ɡ
non relâchée
Affriquées : non voisées pf ts
voisées bv dz
Fricatives : non voisées f s ʃ x
voisées β v z ʒ ɣ ʁ
Nasales : m ɱ n ɳ ɲ ŋ
Semivoyelles : ɭ j w

 

BL : bilabiale

LD : labiodentale

DN : dentale

AL : alvéolaire

RT : rétroflexe

PA : post alvéolaire

VL : vélaire

UV : uvulaire

GL : glottale

 

4    Les voyelles

4.1  Les voyelles sous-jacentes

La langue ngiemboon compte sept voyelles dont la plupart peuvent être modifiées par la longueur et/ou la nasalisation comme présentée dans le tableau ci-dessous :

Voyelles

sous-jacentes

Courtes orales Longues orales Courtes nasalisées Longues nasalisées
/i/ i i: ĩ ĩ:
/e/ e e: ẽ:
/ɛ/ ɛ ɛ:
/a/ a a: ã
/ɔ/ ɔ ɔ: ɒ̃:
/o/ o o: õ õ:
/u/ u u: ũ ũ:

4.2  Variation avant une consonne en position finale de syllabe

La voyelle semi-fermée /e/ se centralise lorsqu’elle précède une consonne nasale en position finale de syllabe comme illustré ci-dessous :

/sèm/  [sə̀m]   tambour      /mȅŋ/  [mə̃̏ŋ]   je

 

Pareillement, la voyelle mi-haute /o/ devient étirée devant /m/.

/fóm/  [fɤ́m]   étouffer

4.3  Variation par fusion avec la semivoyelle

Certaines semivoyelles et voyelles fusionnent pour former les « voyelles amalgamées » [y] et [ɯ]. Ces modifications seront traitées dans la section 3.5.2 ci-dessous.

4.4  La « voyelle écho »

Quand les radicaux monosyllabiques ouverts sont allongés (par exemple, les verbes à l’aspect imperfectif), la voyelle devient longue. Quand les radicaux monosyllabiques fermés sont allongés, ils s’ajoutent à eux une « voyelle écho » faible, qui correspond à la variante faible de la voyelle de la première syllabe. Ceci est dû au fait qu’en ngiemboon, la première syllabe des radicaux est toujours accentuée alors que la seconde, comme tout suffixe d’ailleurs, ne l’est jamais. En voici un exemple :

PERFECTIF      IMPERFECTIF   GLOSE

[fàʔ]                [fàʔà]                 travailler

4.5  Nasalisation des voyelles

En ngiemboon, il existe deux types de nasalisation des voyelles qui paraissent dans des contextes différents.

Premièrement, les voyelles qui précèdent immédiatement la consonne /ŋ/ se nasalisent automatiquement comme dans l’exemple ci-dessous :

PERFECTIF    IMPERFECTIF     GLOSE

[sã́ŋ]             [sã́ŋá]                  compter

 

Deuxièmement, la voyelle nasale est toujours allongée et ne change pas, même en présence de l’aspect imperfectif, cas où le radical reçoit normalement un allongement vocalique additionnel comme indiqué ci-dessous :

PERFECTIF    IMPERFECTIF     GLOSE

[zõ̀:]              [zõ̀:]                     maudire

On peut alors dire que, pour une voyelle qui est déjà longue dans sa forme la plus courte (i.e. « forme lexicale »), elle ne peut pas recevoir plus de longueur, même si une autre voyelle lui est ajoutée comme suffixe. En outre, étant donné qu’en ngiemboon, les consonnes /m/ et /ŋ/ se retrouvent fréquemment en finale de mots et que le /n/ ne s’y retrouve jamais, la forme lexicale sous–jacente de la voyelle nasale longue est supposée contenir la consonne /n/ en même temps que la longueur.

4.6  Tableau phonétique des voyelles

Comme résultats des variations évoquées ci-dessus, les voyelles orales suivantes existent en ngiemboon :

Voyelles

orales

brèves

+ANT

- POST

- ARR

+ANT

- POST

+ARR

- ANT

- POST

- ARR

- ANT

- POST

+ARR

- ANT

+POST

- ARR

- ANT

+POST

+ARR

+haut, - bas i y     ɯ u
 - haut, - bas e   ə   ɤ o
 - haut,+bas ɛ   a     ɔ

 

ANT : antérieur

POST : postérieur

ARR : arrondi

 

5    Les semivoyelles « S »

Dans cette section, nous ne discutons pas des semivoyelles qui apparaissent comme consonnes ordinaires, mais de la classe des semivoyelles (symbolisée par « S » par contraste à « C » et « V ») qui interviennent entre une consonne à l’initiale du radical et la voyelle qui suit.

5.1  Les semivoyelles sous-jacentes

La manière la plus simple de comprendre la phonologie du ngiemboon est d’interpréter les quatre semivoyelles comme des unités sous-jacentes, même si les voyelles hautes parallèles ne le sont pas toutes.

Voyelles phonétiques i y ɯ u
Semivoyelles sous-jacentes j ɥ ɰ w

N.B. : Le tableau ci-dessus utilise les symboles de l’A.P.I. :

[i]         Voyelle antérieure, haute, étirée,

[j]         Semivoyelle palatale (i.e. antérieure, haute, étirée),

[y]        Voyelle antérieure haute arrondie,

[ɥ]        Semivoyelle labiale-palatale (i.e. antérieure, haute, arrondie),

[ɯ]       Voyelle postérieure, haute, étirée,

[ɰ]       Semivoyelle vélaire (i.e. postérieure, haute, étirée),

[u]        Voyelle postérieure, haute, arrondie, et

[w]       Semivoyelle labiale-vélaire (i.e. postérieure, haute, arrondie).

 

Les exemples suivants montrent que chacune des quatre semivoyelles peut apparaître en surface dans un environnement identique, ce qui atteste de leur importance en ngiemboon :

Semivoyelle Exemple Glose
(rien) [kɛ̂] (marque de question)
j [kjɛ́] saut !
w [kwɛ́] attache !
ɥ [kɥɛ̀] sort !
ɰ [kɰɛ́] accapare !

5.2  Les voyelles « amalgamées »

La langue ngiemboon connaît deux cas de voyelles « amalgamées » où les séquences semivoyelle – voyelle sous-jacentes se réalisent en surface comme une voyelle unique amalgamée. Le cas le plus patent est celui où les locuteurs ngiemboon utilisent indistinctement (variation libre) la séquence semivoyelle – voyelle et la voyelle amalgamée.

[ky̌] ~ [kɥǐ]        os

[kýʔ] ~ [kɥíʔ]       homonyme

Un cas moins clair, mais symétrique, est celui où les locuteurs de la langue ngiemboon utilisent uniquement la voyelle amalgamée (d’une combinaison sous-jacente /j/ plus /u/), comme illustré ci-dessous :

[ŋ̩́kɯ̀]     charger en désordre dans un sac

[ŋ̩́kɯ̃̀ŋ]  tailler

6    Le ton

Les langues ngiemboon, yemba (Dschang) et les autres langues bantous des « grassfield » de l’Est sont reconnues pour la complexité de leurs systèmes tonals. Cette complexité est plus apparente au niveau des perturbations tonales, notamment lorsque les mots isolés connaissant des perturbations tonales lorsqu’ils sont employés dans des propositions. Le lecteur intéressé par ces changements tonals est invité à consulter Anderson (1983). Heureusement, il n’est pas nécessaire de comprendre ces changements pour apprendre à lire et écrire la langue ngiemboon, étant donné que c’est le ton lexical sous-jacent, au niveau du mot, qu’on écrit.

6.1  Les tons sous-jacents

Comme dans les langues apparentées, la langue ngiemboon dispose de quatre mélodies sur les racines nominales. Par exemple, les racines nominales monosyllabiques préfixées d’une syllabe de ton bas portent les tons radicaux suivants, quand elles apparaissent en isolation :

Montant : [ǹ̩d̪ə̌m] dieu [ǹ̩t̪ɔ̃̌ː] fruit, esp.
Haut abaissé : [ǹ̩t̪ɔ̃̄ː] cuisse
Bas : [ǹ̩d̪ə̀m] fesse
Bas-descendant : [ǹ̩d̪ə̏m] palabre [ǹ̩t̪ɔ̃̏ː] intervalles

N.B. : Les tons phonétiques « bas » et « bas-descendants » dans cette section scientifique correspondent aux tons orthographiques dits « moyens » et « bas » dans les autres sections.

 

Les radicaux verbaux ont des formes tonales beaucoup plus simples dans la mesure où ils ne connaissent que le contraste tonal entre haut et bas. La langue ngiemboon dispose d’un nombre élevé de radicaux verbaux qui peuvent constituer des paires minimales tonales, ce qui illustre le fait que les tons lexicaux sous-jacents des verbes pèsent lourdement dans le fonctionnement de cette langue.

6.2  Changement tonale dans les systèmes de temps, d’aspect et de mode

La complexité tonale est plus évidente au niveau des changements subis par les verbes conjugués. Ceci est dû à la présence de beaucoup de morphèmes tonals (i.e. tons flottants qui sont présents pour indiquer des temps, des aspects ou des modes « TAM », mais qui ne manifestent leur présence que par les changements qu’ils font subir aux tons adjacents). Heureusement la plupart de ces morphèmes tonals ne viennent qu’en addition aux marques habituelles de TAM. Ainsi, leur présence est d’avance signalée par les mots grammaticaux, même s’ils ne sont pas adjacents au verbe. Dans ce cas, si le lecteur de la langue ngiemboon reconnaît tous les mots d’une proposition (écrits avec leurs tons lexicaux sous-jacents), il pourra la lire sans difficultés, prononçant chaque perturbation tonale au niveau phonétique requis.

7    Conclusion

Cette brève esquisse phonologique a assez rapidement présenté les principales unités phonologiques sous-jacentes, les différents environnements où ces unités varient ainsi que les réalisations phonétiques de surface qui en résultent, à l'exception des correspondances entre les tons sous-jacents et leurs niveaux de surface, trop complexes et envahissants pour une description aussi minime. Les lecteurs intéressés peuvent retrouver des détails sur ces sujets dans les articles portant sur divers aspects de la phonologie du ngiemboon.

L'esquisse phonologique qui précède est une explication scientifique de la manière dont les sons sont utilisés en langue ngiemboon. Elle sert de base au guide d'orthographe pratique de cette langue que nous proposons ci-dessous.